L’intelligence artificielle prendrait-elle, de nos jours, le pas sur l’intelligence naturelle ? C’est la grande question qui fait trembler notre société et qui nous projette vers un avenir que nous ne sommes pas certains de souhaiter. Le Golf – qui comptera probablement parmi les victimes du raz-de-marée annoncé par les rois mages ChatGPT, Claude et Gemini – aura été malgré lui l’un des plus fervents adeptes du règne de la machine en lui fournissant à foison sa nourriture essentielle : la data.
Ainsi, le sourire aux lèvres, nous avons fait analyser par des programmes de plus en plus puissants des décennies de vidéos de golf, des encyclopédies de théories bio-mécaniques, des annuaires de profils de joueurs, et pour finir, des hangars entiers de moyennes de scores, compartiment de jeu par compartiment de jeu.
Si l’on se plonge sur les motivations qui nous ont poussé à fournir si généreusement le couvert à des circuits imprimés, nous ne pouvons distinguer que deux raisons à cela : définir les critères du swing idéal, de façon définitive et universelle, et définir les critères du matériel adapté au swing qui ne l’est pas (idéal). Notons au passage que ce besoin exprime une défiance quant aux capacités de l’homme pour le premier point (sic) et stigmatise une ambition mercantile (plus qu’humaniste) pour le second. En bref, une société en pleine crise de valeurs ne pouvait – dans une urgence infondée – que générer un produit qui lui ressemble.
Bien sûr, l’intelligence artificielle promet d’autres bénéfices dans bien des domaines. Imaginer un futur dans lequel la machine supplante l’homme dans l’exécution des tâches les plus pénibles est un pas indéniable en direction d’un monde meilleur.
Mais nous parlons ici de Golf. Et si nous décorrelons cette activité de notions telles que l’effort et la pugnacité, c’est son appartenance au monde du sport que nous remettons en cause.
Fort heureusement, nous n’en sommes pas là et il est encore temps de donner du grain à moudre aux partisans d’un monde où la machine sert l’homme plutôt que l’inverse.
L’IA a défini un modèle de swing et ce dernier sert de Bible pour la fabrication des champions de demain comme pour les amateurs d’aujourd’hui. Un Rookie qui ne rentre pas exactement dans les chiffres à l’heure actuelle n’a que très peu de chances de se voir propulsé sur les plus grands circuits. Parce qu’il s’agit de son métier, ce dernier sait, par contre, interpréter les données fournies par l’IA et connaît la chronologie des modifications à adopter dans son swing pour atteindre ces dernières.
A l’autre bout de la chaîne, le joueur du dimanche n’a pas ces connaissances et se contente, par tout moyen, d’essayer de coller aux chiffres suggérés par la machine ou par l’application, généralement sans y parvenir. Car l’opération se résume à vouloir démonter un moteur de voiture à mains nues. Il naît alors en lui une forme de frustration qu’il contourne en se réfugiant dans des raccourcis techniques qui lui permettent généralement d’augmenter momentanément ses résultats mais qui génèrent une foule de réactions en chaîne néfaste à sa progression dans le temps.
Le Messie serait donc efficace mais peu pédagogue. Et sa vision porterait sur l’immédiateté plutôt que sur le long terme.
Aucune prise de conscience de cet état de fait ne se pointant à l’horizon, nous comprenons pourquoi les coachs de swing se promènent de plus en plus souvent avec un radar-doppler sous le bras ou avec une application IA dans leur smartphone, clouant ainsi leur propre cercueil.
Le second point où l’on attendait des miracles de l’IA, est celui de l’amélioration des clubs destinés aux swings imparfaits. Il est vrai que, dans ce domaine, la machine a fait du bon travail. Nombre des dernières évolutions qui ont fait l’unanimité sont à mettre à son crédit et sont fièrement estampillées IA. Mais à dire vrai elles sont tout autant à mettre au discrédit des ingénieurs des grandes marques qui n’ont pas su faire preuve d’une grande imagination depuis les années 2000. Aussi vrai que les théories de Galilée définissent aujourd’hui encore le retour des engins lunaires sur terre, il y a des lustres que nous savons que rigidifier un châssis procure davantage de puissance ou que répartir la masse derrière une face de club amène une plus grande tolérance. Et il y a longtemps que les patineurs sur glace font des toupies plus ou moins rapides en gérant leur Moment d’Inertie…
En bref, les apports de l’IA permettent de dire que la machine a virtuellement testé 1000 faces de clubs avant de n’en retenir qu’une, là où un homme d’expérience en aurait testé 3, car les 997 autres n’avaient aucun sens, pour finalement sélectionner la même. De facto, le gain de temps lui-même devient une donnée relative.
Par ailleurs, si l’on se concentre sur les réalisations les plus récentes qui sont siglées IA ou AI – en anglais – on est choqué par l’efficacité froide du produit. Par le manque de toucher, de feedback, du club. Comme si l’aspect sensuel du coup ne faisait pas partie de l’équation.
Et c’est peut-être là que tout se joue. Car si l’on dit que l’intelligence humaine se caractérise par la souplesse de la membrane corticale qui entoure les cellules nerveuses de notre cerveau, c’est peut-être ce manque de souplesse qui caractérisera le monde de demain, s’il devait, par malheur, être dicté par l’IA.
Si vous avez du temps à perdre, évoquez le sujet des sensations avec une intelligence artificielle conversationnelle. Vous comprendrez par vous même qui est le maître et qui est l’élève. Et il serait bon que cela dure…
Franck de Caumette/ Avisgolf.com