L’insidieuse (et dangereuse) expansion des tournois sans cut.
St Andrews est en charge de la protection de l’esprit du golf, tout au moins pour l’Europe. C’est notamment ce qui explique sa vigilance concernant l’évolution des distances que les joueurs parcourent sur le terrain avec leur driver. Car la mission du législateur écossais est claire : faire le nécessaire afin que l’esprit du jeu perdure, ainsi que les valeurs qui lui sont associées.
Dans ce sens, une évolution récente des formats de jeu proposés aux pros (et réclamés par ces derniers) me semble plus qu’inquiétante pour assurer la pérennité philosophique de notre sport de prédilection. Et, à priori, St Andrews ne voit pas le coup venir. Pourtant, les conséquences de cette évolution pourraient nuire au golf plus encore que des drives de 400 yards.
C’est de l’augmentation du nombre de tournois sans cut, dont il s’agit.
Sans mélanger les polémiques, notons que les épreuves du LIV Golf sont proposées sur trois tours sans cut, et que le nouveau circuit proposé par Tiger Woods ( et soutenu par Rory McIlroy ) pour contrer la proposition de Greg Norman et de ses amis saoudiens concerne les 60 meilleurs joueurs du Ranking Mondial qui s’affronteront, eux aussi, dans des tournois sans cut. Pour rappel, le cut est cet écrémage du champ de joueurs après deux tours (156 joueurs au départ et 60 restants pour le ou les dernier(s) tour(s)) qui donne à chaque compétition un parfum d’incertitude, bouscule les probabilités, et met à mal les listes de favoris des bookmakers.
Et alors, pourrait-on penser ? Le suspens pourrait en sortir grandi ! Quel est le problème ?
Vu du côté des joueurs, il n’y en a évidemment pas. Car il faut préciser que seuls les joueurs ayant franchi le rubicond du vendredi soir (cut) peuvent prétendre goûter aux joies du breakdown et aux centaines de milliers de dollars de la dotation du tournoi, les 96 autres devant prendre à leur charge leur déception, leurs frais, ainsi que les droits d’inscription de l’épreuve. Nul doute que la valse actuelle des billets siglés $ ou € joue pour beaucoup dans cette évolution des formats de jeu. Car ce que voudraient les joueurs c’est de la stabilité, de la tranquillité. Idem pour les organisateurs tels que le LIV Golf ou le PGA Tour : un champ de départ définitif leur permettrait d’organiser des événements plus propice à une surenchère commerciale ou favoriseraient l’organisation de paris sportifs golfiques, comme le prévoient les saoudiens.
Mais le jeu lui-même, qu’a-t’il à y gagner ? Probablement rien, mais il a, par contre, beaucoup à y perdre. Car lorsque l’on parle des valeurs du jeu, l’une de celles qui prévalent au golf est que rien n’est gagné d’avance. Ce qu’en d’autres temps on nommait la glorieuse incertitude du sport… Et, dans notre jeu préféré, rien ne l’illustre mieux que la notion de cut. Alors si il est légitime de vouloir rendre la vie des Touring Pros plus facile et confortable au vu de l’impact de leurs performances sur le grand public, rien ne justifie de dénaturer le jeu pour offrir un spectacle dans lequel même les perdants sont des gagnants.
Ceux qui ont joué des épreuves professionnelles le savent : le cut est un passage obligatoire et délicat qui oblige nombre de joueurs à sortir leur meilleur jeu afin de participer aux dollar-days (samedi et dimanche), offrant par là même un affrontement avec le parcours plus riche, plus compétitif, agressif et spectaculaire, qui dope les joueurs et leur permet de sortir leur quintessence.
Ne nous y trompons pas, si les cuts disparaissent, la pression augmentera ailleurs, probablement dans les tours de préqualifications, qui, rappelons-le, ne sont quant à eux jamais télévisés.
FdeC.