TECHNIQUE : Le regard comme chef d’orchestre.

Depuis de nombreuses années déjà, le déplacement de la tête durant le swing est reconnu comme une nécessité pour obtenir un travail efficace dans des domaines tels que le transfert du poids du corps ou l’obtention d’un chemin de club juste. La mode de la “tête fixe” – et des douleurs cervicales qui l’accompagnent – est finie, pour le plus grand bonheur des néo-golfeurs et au grand regret des kinésithérapeutes et autres ostéos. C’est ainsi et c’est une bonne chose. 

Mais aujourd’hui, une nouvelle idée pointe le bout de son nez dans le panorama golfique, qui tourne, elle aussi, autour de la tête mais surtout du regard. Avant d’en faire la description, sachez que cette éclosion donne naissance à un fruit planté dans les années 60 par Gary Player en personne. Il aura donc fallu 60 ans pour que cette voie, ouverte par le champion Sud-Africain, soit testée par les idoles d’aujourd’hui que sont Dustin Johnson,  Annika Sorenstam ou encore Tiger Woods. 

Le concept en est simple et nous ramène à l’époque des Beatles : selon Player (et pour plein de raisons proprioceptives qu’il serait fastidieux de décrire ici), la simple vision de l’objectif suffirait à fournir au corps toutes les informations nécessaires quant au dosage à réaliser sur le plan musculaire pour l’atteindre, et suffirait également pour renforcer toutes les indications quant à la position de l’objectif dans l’espace et de l’orientation du corps (et du club) nécessaires pour y envoyer sa balle. Tout serait dans l’œil, en fait.

Autrement dit, “regardez le drapeau, ne réfléchissez pas, et laissez votre instinct définir la force du coup ainsi que sa direction”. C’est ce que nous propose cette théorie. Bien sûr, quand Gary Player dit cela, il parle des coups de précision réalisés à faible distance de l’objectif, c’est-à-dire des approches. Et pour lui, toute l’opération s’effectue avant la réalisation effective du swing qui, lui, ne change pas.

L’idée a fait son chemin (personnellement, en tant que jeune pro, j’ai beaucoup travaillé autour de ce concept), elle a évolué et nous revient désormais avec d’autres ambitions : poser le regard le plus tôt possible lors du swing, sur l’objectif, afin d’augmenter le guidage du coup ainsi que la précision du point de retombée de la balle sur le green. C’est -à -dire avant l’impact. Oui, oui, avant l’impact… Le but serait de libérer le tronc cervical le plus tôt possible pour qu’il aille chercher la cible dans un mouvement de rotation naturel et que le joueur puisse ajuster son coup tant qu’il en est encore temps. Poussé à l’extrême, ce mécanisme en revient, à peu de chose près, à taper la balle en regardant l’objectif !

S’il est trop tôt pour savoir de quelle façon les champions intègreront cette donnée dans le jeu de demain, nous pouvons déjà formuler quelques remarques quant à l’utilisation qui devrait en être faite. Et pour cela, il va nous falloir adopter différents points de vues, c’est-à-dire chausser différentes paires de lunettes.

Si par une forme inexplicable de miracle je retrouvais mes lunettes de joueur pro, je dirais que cette voie est passionnante à explorer. Elle permet au golfeur qui maîtrise parfaitement sa technique de prendre une certaine distance par rapport au data et à toutes les formes d’aides technologiques qui étouffent littéralement le golf de nos jours. Elle nous permet de constater que l’animal en nous est doté d’un télémètre interne doublé d’une boussole qui lui permettent, sans aucune aide extérieure, de se situer parfaitement dans l’espace. Elle permet également de vérifier qu’un swing de golf est un tout – qui ne s’arrête pas à l’impact avec la balle – et amène le joueur à peaufiner son rythme et ses actions mécaniques après la frappe. Le jeune professionnel qui se lance dans ce “nouveau” concept ne finira peut-être pas par l’adopter au quotidien mais il apprendra beaucoup et enrichira son panel de sensations.

Si le fan de ce jeune pro (un amateur de 15 d’index, par exemple) pique les lunettes de son idole, l’histoire sera toute autre. L’idée va le séduire et il va essayer de la mettre en pratique. Il va bien le faire. Avec application. Mais malgré cela, sa séance d’entraînement ne sera pas très longue et il retournera rapidement à ce qu’il sait faire. Pourquoi ? Parce que pour lui, quitter la balle des yeux en pleine descente du club est probablement ce qu’il y de plus effrayant au monde. Car il n’est pas sûr de l’endroit où va passer ce dernier lorsqu’il se rapprochera du sol et qu’il sent, dans un moment de panique mal contenue, qu’il pourrait même s’offrir la honte d’un air-shot en s’entraînant de la sorte.

Si, de dépit, il passe ses lunettes à son coach, celui-ci le regardera forcément de travers. Ce pédagogue, qui le suit depuis l’enfance, et qui a mis tant d’années et d’énergie à lui construire un geste académique, n’acceptera pas de tout déconstruire et de tout rebâtir. “J’ai mis trop de temps à lui faire garder la tête en place pour lui dire dorénavant de faire le contraire”, dira-t-il. Et il pourrait même rajouter “en plus, je lui fais travailler la reprise d’appui sur la jambe gauche dans la traversée de la balle, alors ça ne peut pas marcher avec ce nouveau truc”. Et il aura raison.

Si, cette fois, c’est un technicien du swing qui s’empare des bésicles, il trouvera le concept passionnant. Mais il sera conscient que si ce mécanisme fonctionne pour l’ensemble des coups de la panoplie golfique, c’est une toute autre philosophie qu’il va falloir adopter dans les années à venir. Car pour faciliter le dégagement du cou, post-impact, nous allons voir fleurir les stances ouverts comme au meilleur printemps. Nous verrons alors la notion d’alignement évoluer et pour finir nous aurons un appauvrissement du nombre des trajectoires de balles possibles. Le matériel devra lui aussi évoluer.

Alors, pour finir, je pense que je vais moi-même poser ces lunettes sur le bout de mon nez :

La théorie de Gary Player en mode 2.0 pourrait bien trouver sa place dans le jeu du futur, notamment dans le secteur du petit-jeu. Mais il ne concernera que les joueurs maîtrisant parfaitement le swing, c’est-à-dire les pros. Mettre ce point en exergue dans le monde amateur ne fera que compliquer la vision du swing de ces derniers et, dans ce sens, la communication autour de cette idée est une erreur.  

Au quotidien, ne quittez jamais la balle des yeux. Ni à l’impact, ni -surtout – quand elle vole ! 

Ce sera déjà un pas de géant…

F2C.